La contribution d'assistance, une autonomie sur mesure
Soraya, Genevoise de 40 ans devenue paraplégique suite à un accident de voiture en 2004, bénéficie de la contribution d’assistance depuis 2017. Entre autonomie retrouvée et responsabilités d’employeur, elle livre au journaliste Malick Reinhard son expérience d’un dispositif qui redessine les contours de l’indépendance. Interview.
Malick Reinhard : Bonjour Soraya. Tout d’abord, j’ai envie de vous poser une question simple, mais capitale : comment viviez-vous votre situation avant de bénéficier de la contribution d’assistance ?
Soraya : Merci à vous ! À vrai dire, c’était bien plus difficile. Je devais beaucoup solliciter mes proches. Je travaillais à l’époque, ce qui m’aidait financièrement, mais la dépendance aux autres était importante. La contribution d’assistance a vraiment changé ma vie en me permettant de gérer mon quotidien de manière autonome. C’est un changement radical dans la relation avec ma famille et mes amis qui peuvent désormais rester dans leur rôle naturel sans devoir assumer celui de soignant.
Alors, concrètement, comment s’organise votre assistance aujourd’hui ?
J’ai une assistante qui vient une à deux fois par semaine, selon les besoins. Elle m’aide pour le ménage, le repassage, les courses, la gestion du matériel médical stocké en cave. Par exemple, récemment, avec une fracture à la cheville, elle a dû m’accompagner davantage pour certaines démarches comme la récupération de documents médicaux. C’est très variable et il faut pouvoir s’adapter aux circonstances.
Quels sont les principaux avantages de cette prestation ?
L’avantage essentiel est de pouvoir préserver mon autonomie sans dépendre de ma famille ou de mes amis. Je peux gérer mon chez-moi comme je l’entends. C’est particulièrement important pour les tâches que je ne peux pas accomplir seule : le repassage, le nettoyage en hauteur, les courses… Étant paraplégique avec un arrachement des nerfs au plexus brachial [réseau de nerfs qui commande les mouvements et la sensibilité du bras et de la main], certaines actions sont très compliquées pour moi. L’assistance me permet de préserver ma santé tout en maintenant mon indépendance.
Comment abordez-vous la question de l’intimité avec votre auxiliaire de vie ? Je sais que ça n’est pas toujours quelque chose de simple…
C’est vrai ! C’est un processus qui demande du temps et de la confiance mutuelle. Au début, je reste plutôt sur l’aspect pratique des choses. Puis, progressivement, on aborde les questions plus personnelles, comme mon matériel médical, par exemple. Mon assistante actuelle a su poser des questions tout en restant professionnelle, sans être indiscrète. C’est un équilibre à trouver.
Mais alors, comment gérez-vous la délicate relation employeur-employé ?
C’est aussi un aspect qui nécessite de trouver le bon équilibre. J’ai appris avec l’expérience qu’il est important de maintenir un cadre professionnel tout en établissant une relation de confiance. Actuellement, j’ai une assistante de 54 ans, et nous avons trouvé un excellent équilibre ; une relation cordiale, mais professionnelle, avec le maintien du vouvoiement qui permet de garder une certaine distance. Mais ça n’a pas toujours été le cas.
Vous rencontrez peut-être d’autres difficultés, en revanche ?
La gestion administrative est particulièrement complexe. Il faut gérer les fiches de salaire, les assurances sociales, parfois les permis de travail pour les personnes étrangères. Nous ne recevons aucune formation pour cela. J’ai dû contacter plusieurs organisations, cantonales et fédérales, pour vérifier les permis de travail de mon assistante actuelle. Concernant les fiches de salaire, j’ai heureusement pu obtenir l’aide d’une fiduciaire, car je ne me sentais pas capable de gérer cet aspect seule.
En parlant de fiduciaire, comment gérez-vous l’aspect financier de cette prestation ? Le paiement des salaires, les déductions salariales…
Dans mon cas, j’avance les salaires avant d’être remboursée par l’AI - ce qui peut prendre jusqu’à un mois. C’est une charge financière importante que tout le monde ne peut pas assumer, j’imagine. Il faut aussi calculer le budget annuel en tenant compte de l’indemnisation des vacances, ce qui n’est pas toujours évident. Et puis, les taux de cotisations salariales changent chaque année, donc je dois rester vigilante. En bref, la gestion financière demande beaucoup de rigueur et d’organisation.
Et pour le recrutement des auxiliaires de vie, est-ce que vous avez une technique secrète ?
Non ! [elle rit] C’est essentiellement par le bouche-à-oreille. Je n’ai jamais utilisé de service de recrutement. C’est un défi, car il faut trouver quelqu’un qui comprenne bien son rôle, sans tomber dans une relation trop personnelle ou, à l’inverse, trop distante. J’ai appris qu’il était important de bien définir les attentes dès le départ. Certaines personnes peuvent avoir une vision erronée du travail, pensant qu’il s’agit d’un « job facile » ou se positionnant comme des « coachs de vie », ce qui n’est absolument pas ce que je recherche.
Vous avez des critères particuliers pour le recrutement de ces personnes ?
Je n’ai pas de profil type, mais l’expérience m’a montré que certains critères sont importants. Par exemple, je me sens plus à l’aise avec une femme, bien que je ne sois pas fermée à l’idée d’engager un homme. L’âge n’est pas déterminant, c’est vraiment le feeling et la confiance qui priment. La différence d’âge de 14 ans avec mon assistante actuelle contribue peut-être à maintenir naturellement une relation plus professionnelle.
Et si vous aviez une baguette magique, quelles améliorations souhaiteriez-vous voir apportées à cette prestation ?
Il faudrait plus d’accompagnement et de transparence. Les critères d’attribution des heures sont opaques, et nous manquons d’informations sur nos droits. J’ai découvert l’existence de cette prestation par hasard, grâce à un ami. Le système n’est pas assez personnalisé selon les types de handicap et les besoins spécifiques. Par exemple, je trouve parfois difficile de comprendre pourquoi des personnes avec des besoins très différents peuvent avoir le même nombre d’heures attribuées.
En bref, quel regard portez-vous sur la contribution d’assistance ?
C’est une prestation essentielle dont je ne pourrais plus me passer ! Elle m’apporte une véritable autonomie et une qualité de vie importante. Cependant, elle nous transforme en « patrons de PME » sans nous en donner tous les outils. Le système pourrait être amélioré, notamment en termes d’accompagnement et de formation des bénéficiaires. Malgré ces défis, c’est une avancée majeure pour l’indépendance des personnes en situation de handicap. Elle nous permet de gérer notre vie selon nos choix, tout en préservant la nature de nos relations familiales et amicales.
Pour terminer sur un note peut-être plus personnelle, qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Oh… [elle sourit] Je dirais de continuer à avoir cette chance de pouvoir gérer ma vie comme je l’entends, avec mes choix, mes erreurs parfois aussi. Et peut-être… que le système évolue pour que d’autres personnes puissent en bénéficier plus facilement que moi, sans devoir découvrir son existence par hasard. Qu’on puisse garder cette autonomie si précieuse, tout en étant mieux accompagnés dans nos responsabilités d’employeurs. Et puis, bien sûr, de garder cette assistante avec qui ça se passe si bien ! [elle rit]